Les Ina’a Alevins
Les Ina’a Alevins
Il pleut depuis trois semaines, à Papeno’o. Le ciel, déchiré de gris et de bleus
anthracites, s’ouvre pourtant d’une timide lueur improbable, en cette journée de décembre. Juste suffisante pour nous permettre de réaliser ce reportage qui nous tient à cœur, tant nous avons reçus de questions de touristes ou de popa’a fraîchement arrivés :
“Mais c’est quoi, ces petits sacs plastiques vendus en bord de route ? Des algues ?
“C’est pas pa’i des algues !”
Ce sont des alevins, absolument divins !
La pêche aux ina’a est (presque) imprédictible. Pour les novices du moins, rien n’annonce l’apparition des alevins sur les étals. Les amateurs savent qu’il y a une saison, souvent entre juin et septembre, mais ils ne peuvent pas prévoir le jour précis du festin. Les pêcheurs, eux, lisent la mer et les oiseaux. Ils savent. Et ils sont comme leurs prises, difficiles à localiser.
Teiva Tchou Fouc explique : “ Soit il y a d’autres pêcheurs qui te préviennent, soit tu aperçois des oiseaux noirs et des blancs qui restent au-dessus de la mer et qui piquent sans s’arrêter. ” C’est le signal. Un signal qui peut être donné à toutes les heures du jour ou de la nuit. “Il peut être 21 heures ou, comme aujourd’hui, 8 heures le matin.” Alors, il faut faire vite, quelle que soit l’heure. Les ina’a n’attendent pas, les pêcheurs sont à leur merci.
Ballet de mailles
Un jour de janvier, ils sont là. Les alevins sont sur les étals. Depuis la veille, ils fleurissent par grappe, suspendues en bord de route. Les pêcheurs s’affairent. À la sortie de Mahina, direction Papenoo, ils font danser leurs épuisettes.
À Ohonu, Teiva Tchou Fouc parcourt l’embouchure. Il passe d’une rive à l’autre, à la recherche des précieux ina’a. Il a de l’eau jusqu’à la taille, les cheveux trempés par l’effort. Cela fait une heure et demi qu’il est là. “ On peut utiliser une épuisette, ou bien un filet, ça dépend. Aujourd’hui on est dans la rivière, ça va ce n’est pas trop dur, en mer ce n’est pas la même chose. Il y a les vagues, les cailloux c’est fatiguant. ”
Un nuage noir se rapproche, des gouttelettes volent, puis la pluie s’abat. Une pluie intense. Il reste à l’eau, il n’a pas encore assez d’alevins. Sa femme et sa fille l’observent. Elles sont sur la rive, près de la glacière. “On vient toujours ensemble ”, précise Roihau, sa femme.
Une technique à maîtriser
Teiva a placé son épuisette à quelques centimètres de profondeur, l’ouverture tournée vers la surface. Il la tient fermement avec ses deux mains. Il attend d’avoir assez d’individus, qu’il prend le temps de regarder. “ Les ina’a sont rose ou blancs quand ils remontent la rivière, après ils deviennent noirs. Ça veut dire qu’ils sont pleins de sable, ils ne sont pas bons à manger, on doit les prendre quand ils sont clairs. ”
Soudain, d’un geste assuré il la remonte en la secouant vivement. Il essaie de mettre le maximum d’ina’a dans son épuisette, rattrapant ceux qui tentent de s’échapper. Les alevins sont pleins d’énergie, une fois à l’air libre, ils s’agitent. En tordant leur corps, ils sont comme des athlètes de trampoline, ils sautent haut. La main gauche du pêcheur délaisse le manche de l’épuisette pour le filet qu’il tapote, de façon à les faire tomber au fond. Puis, la danse reprend.
Entre deux plongées, le fond du filet de l’épuisette reste dans l’eau, pour maintenir les alevins frais le plus longtemps possible. Le pêcheur entortille le filet dans sa longueur pour conserver sa précieuse pêche. À un rythme régulier, il va vider sa récolte dans la glacière à quelques mètres. “ Si on en a vraiment beaucoup, on va les vendre, sinon on en donne dans le quartier et bien sûr on en garde pour les manger. ” La famille les prépare en beignet qu’elle mange avec du riz en journée ou le matin, avec une tasse de café. D’ailleurs, il est l’heure. Pour aujourd’hui, c’en est fini. Le pêcheur, sa femme et sa fille répondront au prochain signal. D’ici là, Teiva Tchou Fouc reprendra la pêche au thon. Il ne peut pas s’en passer.