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Taro

Taro

taro Rurutu 0688

Taro

 Le plus vieux tubercule au monde

C’est l’un des tubercules les plus consommés de Polynésie française et pourtant, on
le sous-emploie, lui privilégiant trop souvent des féculents, des céréales ou d’autres tubercules comme la pomme de terre.
Ne serait-ce pas parce qu’on oublie que le taro se cuisine de cent façons ?

Quand les premiers explorateurs européens arrivèrent à Tahiti, ils relevèrent que les élevages domestiques ou semi-domestiques étaient prospères, le lagon abondant et qu’il suffisait de tendre le bras ou de se baisser pour ramasser un fruit quel qu’il soit. Autrement dit, ils passèrent à côté de la réalité. Wallis arriva en juillet 1767, en pleine période de disette, tau o’e, durant les Matari’i i raro. Etait-ce une année clémente ? Ou les Tahitiens se privèrent-ils pour accueillir ces hommes d’ailleurs dont les bateaux crachaient le feu ? On l’ignore. Bougainville puis Cook arrivèrent en avril, respectivement en 1768 et 1769, soit en fin de tau’auhune, la période d’abondance (lors des Matari’i i ni’a).

Légumes tombés du ciel
Tous deux remarquèrent, chacun de son côté de l’île, l’extrême générosité de la nature tahitienne. Aucun ne parla des cultures. Il est vrai qu’après des mois de navigation éprouvante, ces circum-navigateurs voulaient soigner leurs malades avec des fruits, de l’eau, de la viande et des poissons frais. Ils ne cherchaient pas à s’établir, ni à comprendre les cycles de production. De ce fait, les botanistes de ces expéditions relevèrent les caractéristiques des plantes et des arbres, pas les modes de culture. Enfin, il faut ajouter que les terres agricoles tahitiennes, si l’on excepte Opunohu à Moorea et Papara, étaient peu visibles des étrangers. Beaucoup de zones cultivées existaient en fond de vallée ou sur des terrasses aménagées en montagne*. Alors le mythe se répandit en Europe d’une île où tout poussait naturellement, et les systèmes de production agricole polynésiens furent passés sous silence.
Il a fallu attendre les travaux ethnobotaniques de Hawaii ou Aotearoa (Nouvelle-Zélande) pour qu’ils soient enfin mis en valeur.
La diversité des modes culturaux tenaient à plusieurs facteurs : “ climat, sol, volume et périodes de pluie, orientation des vents, topographie, hydrologie ”, (Serra-Mallol). Les Raromatai, Tahitiens, Pa’umotu, Marquisiens et autres peuples de l’ensemble polynésien s’adaptèrent donc à leurs milieux.

Cultures humides
Ils faisaient coexister deux grands types de culture (décrits par Jacques Barrau) : les cultures sèches (ufi, ’umara) et les cultures humides (taro et ses dérivés comme le ’ape). Ces dernières nécessitaient une préparation des sols et un contrôle de l’eau qui révèlent un vrai savoir-faire. Les cultures sèches, elles, avaient plus besoin d’un suivi quotidien.
Ainsi les anciens Polynésiens réalisaient-ils des buttes de terre dans des endroits marécageux, comme Temae, des cultures de terre bordées de pierre, sur les rives des cours d’eau notamment, où ils contrôlaient l’eau par d’ingénieux systèmes d’irrigation en bambou ; enfin, des fosses étaient creusées dans des endroits peu fertiles, surtout sur les motu et atolls coralliens, où un humus était peu à peu travaillé, arrosé par la couche d’eau douce que l’on trouve partout dans les atolls, à un mètre de profondeur environ.

taro Petite tarodière Papetoai

Le premier tubercule
Dans ces aménagements, le taro (colocasia antiquorum ou Colocasia esculenta) était sans doute la plante la plus communément cultivée. Il s’agit d’ailleurs d’une des plus anciennes plantes cultivées au monde. La majorité des insulaires du Pacifique et d’Asie du Sud-Est en fit son aliment de base avant l’apparition du riz. André Haudricourt1 émet l’idée que le riz était à l’origine une herbe sauvage poussant dans les tarodières, herbe qui fut peu à peu sélectionnée par les premiers culvivateurs. Sa culture, plus aisée que celle du taro, tout en utilisant les mêmes techniques maîtrisées de contrôle de l’eau, fit son succès au détriment de ce tubercule vieux comme le monde.
Si les anciens Tahitiens le consommaient régulièrement, notamment dans le four ahi mā’a, cuit à l’étouffée, en pâte écrasée en galette (tīromi), ou mélangé avec du lait de coco (tie’e), il était moins apprécié que le ’uru, contrairement à Hawaii ou Tubuai.

Tant de variétés
Le taro se reproduit par des rejets appelés mo’o ou mu’o’o, ou pōhiri lorsqu’ils prospèrent spontanément en petits tubercules autour de la tige mère. Si, dans ce numéro, nous allons cuisiner la racine elle-même, vous connaissez déjà le fāfā, nom donné aux tiges des jeunes feuilles, (cf. Tama’a ! #03) et le pota, autre nom des jeunes feuilles du taro (cf. Tama’a ! #01).
Teuira Henry en recense 29 variétés cultivées et 7 variétés sauvages. Le taro aux racines profondes et solides est anivea ; celui à chair jaune est onoa ; le taro à chair rouge est i’ihi, le rose est u’u’te. Il y a aussi les variétés a’atea, huararo, pehu, vava, ’ōveo, variété très estimée de taro, caractérisée par sa couleur cuivrée, ’āpura, petit taro de montagne au rhizome recourbé, qui devient gluant et violacé à la cuisson, piquant à la dégustation, mais dont les jeunes feuilles constituent l’espèce de fāfā la plus fameuse ; ’ōteu, poti, de couleur rouge ou noire, pehu, tafatu, uura tamahere, dont les rejets poussent en s’écartant de la racine principale (et dont on surnomme parfois les orphelins…), vai’ata, vaipūrau, le taro blanc, ou encore vava…
On d’ailleurs peut relever la sensibilité gustative des Tahitiens qui savent différencier au goût
plusieurs variétés de ’uru comme de taro.

Attention toxique
Tout comme le ’uru, le taro a fait l’objet de la part des anciens Polynésiens de sélections et de croisements de façon à obtenir des saveurs ou des textures différentes. Mais contrairement au ’uru, les différents taro doivent obligatoirement être préparés et cuits d’une façon appropriée de manière à éliminer les effets de l’oxalate de calcium, qui provoque des troubles des voies digestives. Il en est de même pour les autres plantes comestibles voisines du taro2, comme le ’ape (alocasia macrorhiza), ses 4 variétés cultivées ou la plus connue des variétés sauvages, le puhi. D’ailleurs, la cuisson prolongée après préparation était nécessaire pour la majorité des végétaux qui ne pouvaient être mangés crus.
Nous souhaitons ici vivement remercier les chefs à qui l’on a confié des recettes à base de taro. Nous savions déjà qu’ils cuisinent et élaborent de merveilleuses recettes, mais leur inventivité avec ce tubercule dont, avouez-le, vous pensiez avoir fait le tour, est sans limite.
Nous espérons que ces recettes vous révèleront encore plus les bienfaits de ce tubercule et qu’il sera à l’honneur de vos tables de Noël, pour la bonne surprise de vos invités.

Les maite des Pa’umotu, ou la symbiose entre l’homme et son milieu

Dans les atolls, les fosses à culture, maite, où était notamment planté le taro, étaient masquées par la végétation et les ’āti (gāti en pa’umotu, clans) qui les possédaient ne les montraient pas aux étrangers de passage. C’est sans doute pour cela que les marins européens des 16e au 19e siècle considéraient ces bandes de terre comme misérables, arides et inhospitalières.
Le principe des fosses à culture consiste à creuser le sol corallien de quelques mètres pour atteindre le niveau de la nappe d’eau douce souterraine puis de reconstituer une couche de terre végétale en mélangeant de la terre sableuse avec des fragments de plantes ou de feuilles appropriées pour réaliser un bon compost. Dans cette couche de terre fertilisée et régulièrement amendée, étaient cultivés le pia, des bananiers et des ti (Cordyline terminalis), mais surtout des tubercules comme le ’ape, le matoa et bien évidemment le taro. Ces fosses sont les vestiges d’un rare savoir-faire cultural et de l’adaptation de l’homme à son milieu.

1. The southeast asian foundations of oceanic agriculture, JSO, Paris, 1962
2. Dana Lepofsky, The Ethnobotany of Cultivated Plants of the Maohi of the Society Islands, 2003

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Produit en question…

A retrouver dans le magazine Tama’a n°05

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