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‘Uru Arbre à pain

‘Uru Arbre à pain

uru pleine page ouverture

‘Uru Arbre à pain

Le fruit providence du fenua

Dans les îles du Vent, le ‘uru a toujours été un des aliments au centre de l’alimentation
et des pratiques sociales de la société pré-européenne. Après les années CEP (1960-2000) et l’occidentalisation des moeurs, il revient en grâce ces dernières années, avec des utilisations nouvelles et la prise de conscience de sa qualité nutritionnelle. Retour sur ce fruit providence qui a marqué l’histoire du fenua durant plusieurs siècles.

Qu’y a-t-il de commun entre Londres, Tahiti, Tubuai, Pitcairn  ? Le ‘uru et le souhait des Britanniques de rapporter des plants d’arbre à pain aux Antilles, par le Bounty, en 1789. Tout le monde connaît l’histoire de ce navire commandé par le capitaine William Bligh et la fameuse mutinerie menée par son second, Fletcher Christian. L’arbre à pain, en raison de l’émotion que suscitèrent cette mutinerie et la survie inattendue d’une partie de l’équipage resté fidèle à Bligh, fit une entrée fracassante dans l’histoire.

Fascination des Européens
Dans son récit de Voyage autour du monde sur l’Endeavour, Sydney Parkinson (1745-1771) donne une description idyllique du ‘uru (E ooro, ainsi qu’il l’écrivit alors) lors de l’escale à Tahiti  : «  Cet arbre est celui qui porte le fruit-pain, si souvent cité par les voyageurs aux îles de la mer du sud ; il peut être justement appelé soutien de vie, pour les habitants de ces îles, qui en tirent leur principale nourriture. […] Avant de faire cuire ce fruit, on enlève toute l’écorce avec une coquille ; et quand il est gros, on le coupe par quartiers. Après avoir fait un four ou une fosse en terre, et l’avoir rempli de pierres chaudes, on y met le fruit entre un lit de feuilles; on le recouvre ensuite avec des pierres brûlantes, et de la terre qu’on presse le plus qu’il est possible; en deux ou trois heures de temps, la cuisson est faite, et ce fruit offre alors un aliment plus flatteur à l’œil que le plus beau pain que j’ai vu de ma vie. Le dedans est très blanc, et le dehors d’un brun pâle; sa substance est très farineuse: c’est peut-être ce qu’on peut manger de plus agréable pour remplacer le pain, si toutefois ce fruit, ainsi préparé, ne le surpasse pas. »

La base de l’alimentation polynésienne
Dans les langues polynésiennes, le fruit à pain est appelé ‘uru (tahitien) ou ulu (Samoa), ou bien mei (en wallisien, futunien, tuvaluan, marquisien, niuéen, mangarévien, …)
Dans les îles du Vent, le ‘uru «  a toujours été un des aliments au centre de l’alimentation et des pratiques sociales » (Serra-Mallol). Si à Hawaii, le taro était la base de l’alimentation  et dans les Tuamotu, c’était le fruit du fara (pandanus), à Tahiti et les îles hautes de Polynésie orientale (de Rarotonga-Cook aux Marquises), le ‘uru était la base de l’alimentation de la société polynésienne pré-européenne devant le taro, le coco, le fē’i, l’igname.
Les premiers explorateurs (anglais et français) ont d’emblée comparé le fruit cuit du ‘uru au pain, la croûte brûlée au four révélant une mie tendre, légèrement sucrée, goûteuse. Ils en ont relevé l’abondance tout autour de l’île. De leurs récits est venu le souhait de la Couronne britannique de récupérer des jeunes plants d’arbre à pain pour les disséminer dans leurs colonies des Caraïbes afin de suppléer aux contraintes d’approvisionnement de farine pour les esclaves. L’épisode du Bounty en 1789 découle de ce projet.

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l’arbre toujours vert
Le ‘uru est un arbre de la famille des Moraceae, la même famille que le jacquier (artocarpi), le figuier et le mûrier blanc dont se nourrissent les vers à soie. Il est dit sempervirent (qui a des feuilles toute l’année), mais il est sensible à la sécheresse et aux vents violents. L’arbre à pain peut atteindre 20 mètres de haut. Comme tous les arbres de cette famille, toutes ses parties contiennent un latex blanc. Son tronc est droit, massif, épais, ses feuilles sont larges, vertes et brillantes, très découpées : elles présentent généralement 7 à 11 lobes bien marqués. L’arbre à pain est monoïque. Cela signifie que les fleurs mâles et femelles apparaissent sur le même arbre. Les fleurs mâles, allongées et pendantes, apparaissent en premier. L’inflorescence femelle, constituée de très nombreuses petites fleurs, forme ensuite la partie charnue du fruit.

« Maita’i ‘ia ‘amu rā i te maiore ana’e rā ma te aroha, i te pua’atoro poria ma te riri »

Mieux vaut manger du fruit de l’arbre à pain sans accompagnement mais avec l’amour que du bœuf gras avec la haine. Source : Fare Vāna’a

Fruit providentiel
Le fruit est la providence de cet arbre. Il est formé à partir des fleurs femelles, les fleurs mâles n’ayant point de corolle, qui se développent à l’extrémité des rameaux. Parfaitement sphérique ou allongé (oblong), le fruit mesure de 12 à 25 cm de diamètre et pèse en moyenne 1,5 à 2 kg, même si certains spécimens sont parfois plus lourds. A maturité, il peut être de couleur verdâtre, jaune pâle à jaune orangé. Sa peau est marquée de figures hexagonales centrées sur un point épineux. Sa pulpe comestible est de couleur crème. Quelques-uns de ces fruits sont sans noyaux ; les arbres de l’île de Tahiti n’en portent généralement pas ; mais dans d’autres îles d’Océanie, on trouve des variétés plus agrestes qui contiennent encore des noyaux anguleux, presque aussi gros que des châtaignes.

Tant de variétés
Le nombre de variétés est impressionnant  : 32 recensées par Wilder en 1928 (The breadfruit of Tahiti, Honolulu, Bernice P. Bishop Museum, bull. 50, p. 19), sans oublier les 27 noms d’autres variétés non encore identifiées (Serra-Mallol, p. 34), soit plus d’une cinquantaine de variétés, parmi lesquelles « puero (cuisson facile), ‘aravei (fruits volumineux), ‘uru ma’ohi (très répandu), rare (particulièrement appréciés), rare ‘auti’a (feuilles très peu lobées), rau maire (feuilles très découpées), ‘uru hamoa (feuilles à peine lobées), pae’a (fruits allongés à la fructification différée), ‘uru huero (fruits à graines comestibles), ‘avei (fruits à la peau rougeâtre), maire (variété de ‘uru dont le nom était très répandu, aux feuilles très échancrées), pu’upu’u (arbre à tapa)… » selon Teuira Henry, Tahiti aux temps Anciens, Paris, Publication de la société des Océanistes, Musée de l’homme, n°1, 1968, p. 49.
Ces variétés sont principalement identifiées à partir des caractéristiques des fruits. La productivité de l’arbre à pain est impressionnante : 5 à 7 ans seulement pour produire ses premiers fruits, et plus de 100 fruits par arbre durant 50 ans environ. Les récoltes ont lieu durant l’été austral de novembre à avril, puis en plein hiver, en juillet-août, d’où notre sujet dans ce numéro «  hivernal  ». Il peut même arriver que les arbres connaissent 3, voire 4 fructifications dans l’année. Les mois sans ‘uru étaient compensés par des techniques de conservation habiles.

‘Ua nia te ‘uru, ‘a fa’ania rā*
* Le maiore est cuit d’un côté, retourne-le.
Si aujourd’hui, on voit des arbres à pain en bord de route parfois délaissés, dans l’ancienne société tahitienne, un arbre à pain avait toujours un propriétaire identifié, individu ou collectivité, selon des codes d’appropriation très précis (Serra-Malol, p.36). Les disettes n’étaient pas rares à l’époque moderne (16e-19e), aussi les anciens Polynésiens avaient-ils mis au point des techniques de conservation originale, sans séchage ou salage, mais par cuisson ou fermentation.

Uru-cook-breadfruit

‘ōpi’o : les ‘uru étaient cuits dans un four tahitien enterré, ahi ma’a. Les aliments empaquetés dans des feuilles étaient cuits durant deux jours à la chaleur de pierres volcaniques, à l’étouffée sous une couche de feuilles et de sable. Les ‘uru étaient laissés ainsi, se conservant plusieurs semaines à l’abri de l’air. Des trous creusés sur les côtés permettaient de se servir en fonction des besoins (Davies).

mahi : c’est une pâte de ‘uru fermentée. La fermentation acide des fruits (meia, fē’i) et des tubercules (taro) était utilisée dans tout le Pacifique insulaire. Les uru étaient pelés, laissés en tas pendant quelques jours, puis découpés et placés dans une fosse, enveloppés de feuilles souvent de tī (cordyline). La fosse était ensuite recouverte de pierre. Avec la fermentation, les ‘uru s’affaissaient sur eux-mêmes. On en retirait alors le cœur et on transvasait la pâte de ‘uru ainsi obtenue dans une autre fosse fermée. Cette pâte pouvait être cuite au ahi ma’a ou mélangée à du ‘uru frais s’il y en avait (en pōpoi). Le mahi pouvait se conserver pendant plusieurs mois, assurant un stock de nourriture à ses propriétaires durant des mois de disette. Les fosses à Mahi étaient donc essentielles dans le système alimentaire polynésien (Serra-Mallol, p. 85), «  jusqu’à ressembler parfois à de véritables silos enterrés capables de garder des dizaines d’années des fruits fortement fermentés ».

Tama’a !
On consomme aujourd’hui le fruit à pain lorsqu’il est mûr, c’est-à-dire lorsque la sève laiteuse blanche vient à la surface et coule sur l’extérieur. Le fruit est encore dur et vert et la pulpe farineuse.
Si on laisse le fruit mûrir, une partie de l’amidon qu’il contient se transforme en sucre. Il a alors une saveur sucrée et doit être utilisé lorsqu’il est tendre, mais sans attendre qu’il pourrisse. On consomme aussi les graines, les feuilles et les fleurs. Les graines ont un agréable goût de noix. Les feuilles ne peuvent être consommées que lorsqu’elles sont très jeunes. Si l’on cueille les fleurs au bon moment, avant qu’elles ne brunissent et durcissent, on peut également les manger.
Ce fruit féculent est riche d’usages : gratin, purée, beignet, croquette, frite, soupe, soufflé, etc. En pâtisserie, sa chair permet la confection de gâteaux et de farine.
Nous vous invitons d’ailleurs à vous procurer le livre de l’éditeur Au Vent des Îles, Le meilleur du ‘uru, écrit par Viviane Givin en 2019 (1950 F).

Qualités nutritionnelles
Le fruit à pain est un aliment énergétique. L’amidon et le sucre en font un aliment riche en calories. C’est aussi une assez bonne source :
• de vitamines C, qui renforcent les tissus de l’organisme et aide à assimiler le fer et à favoriser le métabolisme
• de vitamine B1 (thiamine), dont les graines sont bourrées, aide l’organisme à convertir les hydrates de carbone en énergie et en chaleur,
• de vitamine B3 (niacine)
• et de calcium, qui aide à avoir des os et des dents solides.

Par ailleurs, le fruit à pain est riche en fibres nécessaires au bon transit intestinal. Les personnes qui mangent des aliments riches en fibres risquent moins de développer un surpoids ou une obésité. Les graines de fruit à pain sont une assez bonne source de protéines dont l’organisme a besoin pour sa croissance et sa bonne santé.
Différentes parties de la plante étaient utilisées en médecine traditionnelle polynésienne pour la confection de ra’au tahiti, aussi bien du fruit que de l’écorce ou de la sève.

Son bois, léger et flexible, est utilisé pour la fabrication d’ustensiles et la construction de pirogues. Son écorce servait jadis à fabriquer de la corde et du tissu. Enfin, cet arbre contient un latex qui est utilisé comme colle et qui sert à rendre étanche les canots. Un arbre providentiel, nous l’écrivions, « soutien de vie » des polynésiens avec l’autre arbre emblématique des îles des Mers du sud, sur lequel nous reviendrons prochainement : le cocotier.

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Produit en question…

A retrouver dans le magazine Tama’a n°09

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