Korori
Korori
le délice de Mangareva et des Tuamotu
(muscle adducteur de l’huître perlière)
La Polynésie française compte 118 îles et atolls. Sur les 77 îles basses des Tuamotu – la plus haute, l’atoll soulevé de Makatea, culmine à 111 m –, 31 atolls sont concernés par la présence d’huîtres perlières à lèvres noires, Pinctada margaritifera variété cumingii. C’est donc sur ces minces bandes de terre, « des îles de la matière dont sont faits les songes », comme l’avait si bien soupiré la plume de Robert Louis Stevenson, que s’écrit principalement l’histoire de l’huître perlière de Polynésie, unique au monde.
Les Tuamotu sont des récifs coralliens et des dépôts émergés qui entourent un lagon de quelques dizaines de kilomètres, aux formes très variables : petits et ronds souvent, longs et maigres parfois. Certains sont fermés au grand large, d’autres sont ouverts à l’océan avec une passe, parfois deux, vestiges des anciennes rivières à l’entrée des vallées d’une île qui n’était alors pas immergée. Ils s’étendent du nord-ouest au sud-est d’une étendue au cœur du Pacifique de 1800 km de long sur 600 de large. Dans ces endroits où « l’océan et la terre ferme semblent lutter constamment à qui l’emportera sur l’autre » (Darwin), sur ces filets de terre écrasés de soleil et posés sur l’océan, quelques atouts : 12 800 km² de mer intérieure et 12 000 km de récifs qui déploient un univers coloré et fascinant. Un environnement exceptionnel pour le coprah, la pêche, la plongée… et l’huître perlière.
Ce magazine n’est pas l’endroit où vous conter l’épopée de l’exploitation nacrière, débutée à l’aube du 19e siècle, mais bien celle d’une partie goûteuse des huîtres perlières, le korori. Toutes ont élu domicile dans ces lagons pa’umotu pour une raison simple : ils forment, chacun avec son caractère, un biotope adapté à cette espèce de bivalve producteur de perles.
Ses conditions strictes d’épanouissement
La pintadine de Polynésie, dont on émet l’hypothèse qu’elle vint de l’ouest indo-malais par Scilly et se développa d’îles en atolls vers l’est, en fonction de l’ancienneté relative des lagons dépend d’un environnement strict, sorte de cahier des charges sévère auquel les lagons se sont pliés.
Tout d’abord, leur eau de baignade doit être salée et à bonne température. La salinité lagonnaire, un peu plus élevée que celle de l’océan, en raison notamment d’une évaporation plus élevée que la pluviométrie (Marcel Le Pennec), leur convient.
Cette eau doit être bien oxygénée pour plaire à la pintadine. Cela tombe bien : dans les lagons, elle est fortement oxygénée ! Elle ne doit pas être acide ? Cela tombe bien, l’eau des lagons est alcaline (pH basique, donc supérieur à 7).
Elle ne doit pas être trop chaude, ni trop froide ? Qu’à cela ne tienne, la température moyenne des lagons est d’environ 28°C, avec une pointe en surface de plus de 31° dans les Tuamotu en plein été (janvier-février). Au-delà, la pintadine décline. Les températures minimales relevées en plein hiver sont de 22°C (Gambier) : une période où l’activité reproductive des pintadines (qui s’agitent au-dessus de 25°C) est en sommeil.
L’eau du lagon doit nourrir l’huître perlière, gourmande de phytoplancton (ou plancton végétal). Or, les lagons des Tuamotu apportent à la pintadine les éléments dont elle a besoin. Cette richesse en nutriments (ou éléments nutritifs, constitués par l’ensemble des composés organiques et minéraux nécessaires à l’organisme vivant) dépend beaucoup du degré de confinement des lagons : les atolls ouverts sur l’océan, en raison des passes ont une teneur en nutriments plus faible. Les atolls fermés, ou presque totalement fermés, dont l’eau est lentement renouvelée par les hoa, sortes de canaux non navigables car peu profonds, sont naturellement riches en nutriments. Mais la pintadine aime là aussi une certaine modération.
Enfin, l’huître perlière est très sensible à la pollution, dans le sens que, comme bon nombre de bivalves, elle accumule métaux lourds et hydrocarbones. Elle est pour l’instant en partie épargnée, mais l’équilibre reste fragile.
Quand toutes ces conditions sont réunies, alors, dans le silence des fonds bleutés, accrochées sur leurs rochers de corail, karena, affleurant à la surface, marahi, quelques mètres sous la surface ou kapuku, invisibles de la surface, les préférés des pintadines, les huîtres perlières de Polynésie choisissent un lieu propice et s’y fixent cette fois définitivement par les filaments du byssus, tandis que le pied de déplacement se rétracte. C’est là qu’elles grandiront, si elle survivent à tous les dangers du fond de l’océan, jusqu’à une vingtaine d’années, leur coquille tutoyant les 25 centimètres.
Une biologie fort simple… et si complexe
La pintadine a un cœur central, avec un ventricule et deux oreillettes, qui à défaut d’aimer, pompe le sang incolore (hémolymphe) et remplit d’oxygène le reste du corps. Pour respirer, la Pinctada margaritifera var. cumingi utilise des filaments branchiaux qui retiennent l’oxygène. Une bouche à quatre lèvres, les palpes labiaux, entretiennent le courant de l’eau et le filtrent, pour retenir le phytoplancton.
Sans rentrer dans le détail d’un microscope, sachez que les particules ingérées suivent le trajet d’un tube digestif classique, passent par l’œsophage pour atteindre l’estomac. Les aliments sont alors digérés, et ce qui doit être extrait passe, via un hépato-pancréas, dans l’intestin. Ses petits reins en forme de V font le travail pour lequel, dans chaque être, ils sont conçus : ils épurent le sang des déchets qui ont pu s’y accumuler et qu’ils éjectent. Trois paires de ganglions, reliées et de la grosseur d’une tête d’épingle, lui servent de système nerveux : il semble qu’elle n’ait pas plus de potentiel à penser que les pintades de basse-cour dont elle a tiré son nom. Elle a surtout trois muscles : d’abord les muscles élévateurs et rétracteurs du pied, unique organe locomoteur de l’huître, fixé, c’est original, au niveau de la bouche. Et puis un gros muscle adducteur (le goûteux korori) qui empêche ou permet l’ouverture des valves qui laissent passer l’eau. Ce muscle adducteur est la partie la plus goûteuse de l’huître perlière, dont la chair des plus jeunes individus était mangée par les pa’umotu uniquement en période de disette. C’est depuis l’exploitation perlicole des lagons, pour la production de perle de culture (surtout après 1970), que le korori a l’honneur des tables polynésiennes. Bonne dégustation.
Sources: Christophe Serra-Mallol / Douglas Oliver / thèse de P. Seurot