Pua’a Porc du fenua
Pua’a Porc du fenua
Un esprit sain dans un porcin
Les rares animaux terrestres ont tous été apportés par les premiers Polynésiens, dans toute la Polynésie orientale, même si le porc (pua’a mā’ohi) avait disparu de l’île de Pâques avant la fin du 18e siècle, sans doute en raison d’une surconsommation. Parlons-en, de notre cochon. Il était absent, ou quasi inexistant des atolls des Tuamotu, où il aurait nécessité trop de ressources végétales pour être nourri.
Il ressemblait à un petit sanglier domestiqué, plus docile que son cousin européen et moins gras, comme les porcs d’Asie.
Nourriture des cérémonies et des festins, il était réservé à certaines occasions ou présenté comme cadeau aux personnalités qu’on voulait honorer et sa consommation était strictement contrôlée par les chefs.
Il ne présentait ainsi qu’un complément carné de faible importance dans la ration alimentaire de base. Femmes, enfants et hommes des plus basses classes étaient exclus de sa consommation.
Enfin, on ne consommait pas le porc individuellement en Polynésie : le mode habituel de préparation était donc de le faire cuire entier dans un four enterré. L’habitude polynésienne de mise à mort était l’étranglement, afin de ne pas perdre le sang. Seule la cuisson à l’étouffée dans un grand ahi ma’a permettait de conserver la viande quelques jours. En effet, contrairement à Hawaii, les Polynésiens orientaux ne pratiquaient pas le salage des aliments, sans doute en raison de l’hygrométrie trop importante, ni le fumage.
Dans le corpus de lois de Tetunae, ari’i rahi de Tahiti né probablement à l’aube du 15e siècle et qui fut le premier législateur connu de l’île, le porc a une grande importance. Dans certains points de la loi, appelés ture, (au nombre de 57, comme d’ailleurs le nombre des représentants de l’Assemblée, mais qui s’en souvient ?), qui furent rédigés à l’attention des ari’i, le porc est à l’honneur.
Tout d’abord, il fixa cette grande tradition d’accueil qui fait l’honneur de nos îles : “Ne te contente pas de regarder ceux qui passent près de ta maison. Prie-les d’entrer et de venir se restaurer. ”
Quand les Wallis, Bougainville, Cook et autres Bligh, ils ont l’honneur de banquets de bienvenue, où le porc est cuisiné en abondance, alors même que sa consommation était codifiée : “ les mets prohibés seront consommés par les ari’i seuls, tels la tortue, l’urupiti (la grande carangue), tous les grands poissons des lacs et de Moana, ainsi que la poitrine et le filet de porc. Ces mets sont réservés, tabu. ”
Le porc avait en effet, comme tant d’autres aliments, un statut rituel. Son accès pouvait changer en fonction du sexe du consommateur. Ainsi une femme était-elle exclue de sa consommation, sauf si le porc lui appartenait d’une part, et qu’il avait consommé pour engraisser une nourriture qui lui appartenait aussi d’autre part. D’où la présence d’enclos, partout relevée par les premiers Européens.
Dans les lois de Pomare, le porc occupe aussi une place importante. L’animal sert d’illustration même aux système de sanctions contre le vol de nourriture. “Quand un individu vole un cochon, il devra en élever quatre : deux pour le propriétaire du porc et deux pour le roi. S’il n’a pas de porc, il donnera une pirogue double au propriétaire et une pirogue au roi. S’il n’a pas de pirogues, deux rouleaux d’étoffe…”
Les porcs, habitués à glaner leur nourriture ici et là, sont l’objet la 3e loi en entier : s’ils volent de la nourriture dans un enclos bien entretenu, alors leur propriétaire devra payer. Dans le cas d’un enclos mal entretenu, rien ne pourra être réclamé. Si un porc est blessé par un tiers, il gardera le porc blessé pour lui et ramènera au propriétaire un porc en bonne santé, etc.
C’est dire l’importance de ces bêtes dans la culture tahitienne aux 16e – 19e siècles.
Suite à l’accueil exceptionnel et aux banquets dont avaient bénéficié les premiers explorateurs européens, ces derniers avaient rapporté en Europe, dans leurs écrits, ô combien la nourriture était abondante à Tahiti. Les chefs des îles hautes, de leur côté, ont compris rapidement de quels besoins la jeune colonie britannique de Port Jackson (futur Sydney), puis quelques années plus tard la ville de Valparaiso (Chili) pouvaient avoir en viande salée. Ils organisèrent donc un véritable commerce du porc quand les navires de passage recherchaient de quoi ravitailler leurs colonies. Entre 1805 et 1826, la vente de porc salé fut le secteur économique le plus important du commerce tahitien*, avant que les oranges, l’huile de coprah puis la nacre ne prennent le dessus. Le commerce du porc, initié par les Anglais, dès les années 1805, retira peu à peu au porc et à nombre d’aliments leur caractère sacré et leur consommation codifiée.
Reste la joie de se retrouver ensemble durant cette grande période de fête, autour des braises où rôtit un cochon de lait, afin d’honorer les mots de Tetunae le Grand Législateur : “Ne regarde pas d’un œil hostile le voyageur qui vient à passer près de chez toi. Dis-lui de s’arrêter, tue ton cochon, et que ton umete soit gras des mets que tu y auras mis.”
Excellent Heiva à tous.Vous avez dit cochon sauvage ? En fait, les trois espèces d’animaux “sauvages” des îles hautes (volaille, porc, chien) sont bien domestiques. Elles sont devenues partiellement sauvages par manque de nourriture dans les élevages domestiques, dès avant la Rencontre
(fin 18e), avant de proliférer dans les forêts et montagnes des îles hautes. Au 20e siècle, ces trois espèces ont été rejointes par la chèvre, importée.