Chocolat de Tahiti
Chocolat de Tahiti
Morgane Richard, une passion dévorante pour le chocolat
SAVIEZ-VOUS QU’AVANT LE CEP*, IL EXISTAIT DES PLANTATIONS ENTIÈRES DE CACAOYERS DANS LES VALLÉES DE TAHITI ET D’ÎLES COMME UA POU ET RAIATEA ?
INTRODUITE PAR LE DR JOHNSTONE DANS LES ANNÉES 1850, CETTE CULTURE A PERSISTÉ JUSQU’À CE QUE LE CEP CHANGE LA DONNE ET INCITE LES PLANTEURS À TOUT DÉFRICHER. QUELQUES RARES ARBRES ONT ÉCHAPPÉ À L’ÉRADICATION, DÉVELOPPANT AU PASSAGE DES QUALITÉS UNIQUES. DES QUALITÉS QUE MORGANE RICHARD, PASSIONNÉE DE CHOCOLAT, A EU ENVIE DE FAIRE CONNAÎTRE AU MONDE…
Depuis bien longtemps en Polynésie, le cacaoyer n’était donc plus qu’un arbre ornemental, dont on ne savait plus que faire des cabosses et qui n’intéressait plus personne. Même si le Territoire n’avait jamais été à proprement parler un grand producteur de cacao, un savoir-faire s’était totalement perdu en quelques générations. Jusqu’à ce qu’une jeune femme, Morgane Richard, née à Suresnes dans les Yvelines en 1988, ne décide de se pencher sur la question… Mais il faut dire que son parcours l’y avait tout entier prédestinée. Morgane a en effet vécu en Polynésie durant plusieurs années pendant sa petite enfance, arrivée à 5 ans avec ses parents pour la quitter à 12 afin de poursuivre sa scolarité. Revenue pour la première fois depuis 20 ans en octobre 2018 afin d’y retrouver sa demi-sœur à l’occasion d’un court séjour, la jeune femme, devenue entre-temps une spécialiste du chocolat (voir encadré sur son cursus), rêve depuis toujours de parvenir à faire le lien entre Tahiti et sa passion professionnelle. À peine arrivée, Morgane loue une voiture pour faire le tour de l’île et trouver des cabosses. Elle écume les vallées, déniche de vieux cacaoyers plantés par les grands-parents des propriétaires actuels et achète 200 kilos de cabosses avant de se lancer dans leur fermentation et leur séchage pour pouvoir amener les fèves en France. Elle réalise un batch de cacao à 70 % avec des petites machines ramenées du Vietnam pour des essais… et l’opération est très vite concluante.
Un retour aux sources
Pour celle qui vit comme la consécration de sa carrière le fait d’aider la Polynésie à redevenir un pays producteur en y relançant la production de cacao, les dés sont jetés dès la mi-novembre 2018 : dossier pour estimer la production en poche, Morgane prévoit comme une évidence son retour en Polynésie installation dès le mois de janvier suivant. À peine débarquée, la jeune femme se lance cette fois dans un tour de la Polynésie qui l’emmènera aux Marquises, à Raiatea, à Taha’a, à Huahine et à Moorea afin d’achever de prouver qu’il y a eu partout du chocolat ici… et de convaincre que tout peut renaître, en mieux. Ces expéditions, qui prennent la forme de véritables trecks dans la jungle, lui permettent ainsi de rencontrer des personnes incroyables, qui ne tardent pas à la soutenir dans son projet fou. Conquise par les qualités rares du chocolat made in Fenua, qui offre comme la vanille ou le vin des qualités organoleptiques uniques apportées par son terroir (le chocolat tahitien présente des saveurs de pain grillé et de fruits secs caramélisés selon la spécialiste), la jeune femme persuade très rapidement des propriétaires de cacaoyers locaux de travailler avec elle tout en faisant déjà découvrir cette production à l’extérieur, à ses professeurs, ses mentors et amis chefs, surpris par le « caractère subtil, à la fois doux et fort, le caractère de guerrier à l’image de la Polynésie » de son produit.
Une société qui fonctionne déjà
Morgane Richard n’a pas perdu de temps : quelques mois à peine après son arrivée, cette passionnée de torréfaction qui n’a de cesse d’apprendre à sublimer cette incroyable matière première en inventant de nouvelles saveurs et de nouvelles façons de la travailler, toujours dans une immense recherche de qualité, a déjà monté sa société productrice de chocolat, Tahiti Origin by M. Les récoltes ont commencé (la première des deux grosses récoltes de l’année a déjà eu lieu), suivies des phases de fermentation et de séchage avant stockage des fèves. Les machines destinées à leur transformation arriveront prochainement d’Inde, de Rotterdam, d’Italie et de France. Tout sera fait sur place, avec des fèves polynésiennes transformées en Polynésie, l’objectif étant de produire rapidement des tablettes de chocolat noir à 70 % de cacao 100 % made in Tahiti sans colorant, sans conservateur et sans arômes artificiels ajoutés. La production sera lancée grâce aux cabosses déjà collectées sur les ca-caoyers existants (environ 850 arbres recensés sur toute la Polynésie), mais la jeune femme a aussi planté des fèves de cacao fraîches, actuellement stockées en nurserie et destinées à être prochainement replantées sur un terrain de 5 hectares à la Presqu’île de Tahiti. Ces nouvelles plantations vont essentiellement reprendre les variétés déjà présentes localement et dont « l’ADN est déjà acclimaté », à savoir du criollo et du trinitario, mais aussi beaucoup d’hybrides naturels des deux, avec également un peu de forastero ; le tout constituant « une super base » aux dires de Morgane.
Oeuvrer pour la Polynésie
Si Morgane Richard sait pertinemment que sa production ne sera même pas suffisante pour fournir tous les professionnels locaux au début, la jeune femme voit déjà beaucoup plus loin, en visant même l’export. Motivée plus que tout par l’idée de réintroduire ce savoir-faire et de redévelopper toute la filière cacao au Fenua, elle s’est montrée d’emblée très soucieuse d’apporter son aide aux planteurs afin que ces derniers puissent redevenir autonomes jusqu’au traitement post-récolte. Dans cette Polynésie loin de tout, Morgane sait bien aussi que la clé du succès et des prix décents ne peut être garantie si personne ne transforme ici. Lors de ces premières pérégrinations locales en quête de cabosses, l’experte a également compris pourquoi, malgré une histoire souvent passionnante et beaucoup de cœur, la façon de faire d’autrefois n’était pas la bonne et pourquoi la filière du cacao n’a pas fonctionné au Fenua. C’est pourquoi elle envisage également à moyen terme d’organiser des formations avec le gouvernement visant à établir des plantations de cacaoyers, en donnant les moyens aux nouveaux planteurs d’en assurer l’entretien jusqu’à la récolte, sans omettre la fermentation et le séchage. Une tâche énorme pour une jeune femme qui semble en avoir fait presque une mission de vie, convaincue de produire un chocolat unique « car il y a un petit morceau de l’âme de chaque Polynésien dedans et que chaque cabosse récoltée a une histoire »…
*CEP : le Centre d’expérimentation du Pacifique qui a réalisé les essais nucléaires en Polynésie française.
DE L’ART DE BIEN DÉGUSTER LE CHOCOLAT
« Le chocolat se déguste avec les trois sens que sont la vue, l’odorat et le goût. D’abord, il faut en regarder la couleur, la brillance. Dans un second temps, il s’agit de le sentir pour en percevoir les premières saveurs, déceler son acidité, sa force, son amertume, sa légèreté. Après, il faut le croquer. S’il est bien croquant, c’est un gage du bon travail de la matière première. Ensuite, je recommande de le laisser fondre en le collant contre son palais, bouche fermée, de façon à en percevoir les saveurs en rétro-olfactif. »
SON CHOCOLAT ET SON DESSERT PRÉFÉRÉS
« Ma préférence va incontestablement à un noir du Vénézuéla, issu d’une toute petite plantation baptisée Chuao qui produit la variété la plus fine et la meilleure du monde. C’est l’origine du cacao en fait. Les Mayas ont en effet été les premiers à le travailler pour en faire une boisson dédiée aux dieux. Mais ces arbres de la variété criollo, la plus rare et la plus recherchée, sont aussi des arbres très fragiles et en voie de disparition ; il en reste très très peu. Nous avons donc choisi d’être actifs également sur le plan de la sauvegarde de cette variété en replantant du criollo à Tahiti. Quant à mon dessert préféré, c’est une tarte fondante chocolat ganache, qui n’a pas le même goût selon qu’elle est confectionnée dans de bonnes ou de mauvaises conditions. Je l’ai déjà constaté à de nombreuses reprises : les choses n’ont pas le même goût en fonction de la dose d’amour que l’on met dedans. Le chocolat est une matière capricieuse, philosophique, c’est un peu plus que simplement quelque chose à manger. »
UN CURSUS ORIENTÉ VERS L’EXPERTISE
Morgane Richard passe d’abord un bac général économique et social avant d’entreprendre un BTS diététique à la suite duquel elle choisit de s’orienter vers la cuisine. Elle sera chef de partie durant un an et demi dans un restaurant de La Rochelle, celui de l’hôtel Mercure, avant de suivre un an de formation pour adulte au sein de l’école Ducasse (École nationale supérieure de pâtisserie) d’Yssingeaux. Elle suivra dans la foulée un stage de 3 mois chez un champion du monde de pâtisserie à Cannes avant d’obtenir son CAP pâtissier et de passer un concours pour intégrer la chaîne d’hôtels de luxe Four Seasons. Affectée à Genève, Morgane y restera un an en tant que commis de pâtisserie au sein du restaurant de l’Hôtel de Bergues. Décidée à en apprendre davantage sur le chocolat, la jeune femme reprend l’apprentissage en alternance durant une année chez un meilleur ouvrier de France, Olivier Bajard, très connu dans le milieu du chocolat. Elle en profite pour passer un concours de chocolat à Toulouse : arrivée deuxième, elle décide de se consacrer désormais au chocolat et passe en candidat libre un CAP chocolatier en même temps qu’une mention complémentaire en desserts de restaurant dans le cadre de sa formation continue. Devenue insatiable dans sa volonté de tout apprendre sur le chocolat, Morgane passe ensuite un concours d’entrée pour intégrer une école à Levallois-Perret afin d’obtenir en deux ans un brevet technique spécialisé dans le chocolat, toujours en alternance. Dans le même temps, elle officiera dans une chocolaterie artisanale à Bordeaux puis un restaurant à Paris. Dès 2016, Morgane développe sa propre gamme de chocolats, de confiseries et de pâtisseries, multipliant les stages, notamment avec le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, NDLR) pour devenir experte en cacao. Diplômée en 2016 avec la mention bien, Morgane devient second de laboratoire dans une chocolaterie avant de se voir proposer une place de chef au Vietnam. La proposition concerne aussi l’ouverture d’une boutique à Hanoi, avec une équipe de 25 personnes dédiée au travail du chocolat directement à partir de la fève de cacao. Avec cette ouverture sur une partie du métier très fermée, Morgane a désormais accès à tous les aspects de ce dernier post-récolte. Elle devient responsable pour la société vietnamienne Marou de la fabrication du chocolat (pure origine, 80 tonnes de fèves de cacao par an), mais aussi de la recherche et du développement, de la formation et de l’éducation à la dégustation. Au terme de sa mission, le cacao n’a plus aucun secret pour elle et la jeune femme n’a plus qu’un rêve : revenir en Polynésie pour y mettre à profit toutes ses connaissances…